Une année européenne #910 min read

Débuté en mai 2018, ce journal de bord plus particulièrement axé sur les enjeux de souveraineté retrace, mois par mois, les progrès engagés et les éventuelles reculades. À quelques jours des élections européennes du 26 mai, j’ai tenu à sonder nos partenaires sur la situation internationale et à partager le fruit de ces échanges dans ce 9e billet.

La France a connu ces derniers mois des temps troublés. En parallèle, le contexte mondial voit les tensions s’accroitre : guerres commerciales, dénonciations d’accords internationaux sur les armements, regains de tensions interétatiques… Il m’a paru important de prendre du recul et d’évaluer l’impact éventuel de ces dynamiques pour l’avenir de notre modèle européen.

Plus que jamais, l’Union européenne apparaît comme un vecteur de stabilité et de prospérité. Pourtant, nous nous trouvons à un tournant : le Brexit, les nombreuses ingérences que subissent notre continent menacent notre cohésion.

Notre partenaire allemand traverse une période de temps mort politique

La France et l’Allemagne demeurent le moteur de la construction européenne, capable d’entraîner dans son sillage les autres États membres.

Quelques désaccords sont pourtant apparus récemment entre nos pays, dont j’ai tenu à comprendre la teneur et le fond. Au cours de deux déplacements à Berlin, j’ai pu évoquer ces sujets avec mes homologues du Bundestag – aussi bien membres du parti social-démocrate (SPD), que des libéraux (FDP) ou des chrétiens-démocrates (CDU) –, des représentants de l’administration fédérale ou encore Annegret Kramp-Karrenbeauer (dite « AKK ») qui a pris la succession d’Angela Merkel à la tête de la CDU.

La position de la chancelière Merkel est très contrainte du fait de son contrat de coalition, d’une part, et de la période électorale d’autre part. Cette faible latitude explique que ce soit AKK et non pas Madame Merkel qui ait pris l’initiative de répondre à la lettre du président Macron. Nonobstant une réelle volonté de renforcement de la position de l’Union européenne sur la scène internationale, AKK a fait émerger quelques points de discordes, comme le maintien du siège du Parlement européen à Strasbourg.

Par ailleurs, suite à l’affaire Khashoggi, la coalition gouvernementale, sous la pression du SPD, a bloqué les exportations d’armement vers l’Arabie Saoudite sans concertation préalable avec ses partenaires européens parties prenantes à la chaîne de valeur des programmes d’armement. Dans cette période électorale, le SPD nationalise cet enjeu, se voyant dépassé dans les intentions de vote par les Verts.

Autre fait majeur, l’économie allemande, largement tournée vers l’export, marque le pas : la prévision de croissance du PIB allemand est de 0,5 % pour 2019 (contre 1,1 % en zone euro et 1,4 % en France). Nos partenaires outre-Rhin sont inquiets de l’impact que pourrait avoir une confrontation commerciale avec les États-Unis compte tenu de la forte exposition de leur industrie automobile aux importations américaines. Une industrie déjà fragilisée par le Dieselgate. Cela explique également que la CDU, cherchant à préserver le secteur automobile, fleuron de l’industrie allemande, s’engage mollement dans la réduction des gaz à effet de serre.

Une fois cette séquence politique échue, la France et l’Allemagne devront être capables de se rassembler avec l’ensemble des États membres pour pousser plus loin une convergence qui s’avère tous les jours plus nécessaire.

Une confrontation américano-chinoise qui n’est pas sans conséquence pour l’Europe

Le bouleversement des relations des deux plus puissants acteurs économiques mondiaux, la véritable guerre commerciale qu’ils se mènent à l’échelle du globe et l’escalade stratégique qui en résulte sont autant de facteurs qui déstabilisent l’économie mondiale.

En tant que vice-présidente du groupe d’amitié France-Chine, j’ai pu, en marge de la visite du Président de la République populaire de Chine Xi Jinping, prendre part à un forum consacré à la gouvernance mondiale et aux nouvelles routes de la soie. Furent ainsi évoquées lors de cette journée nos convergences, notamment sur le soutien au multilatéralisme ou la collaboration sur l’aide à l’Afrique. Ceci ne doit pas occulter les réticences persistantes en Europe quant à la pénétration chinoise via ces routes de la soie et aux risques de divisions qui en découlent, à l’instar de l’accord signé avec l’Italie, l’élargissement récent du forum 16+1 à la Grèce ou la participation de Huawei à la 5G.

J’ai également eu l’opportunité de m’entretenir avec des responsables d’un think tank chinois.

Vu de Chine, l’ordre mondial est en plein bouleversement ; le modèle démocratique occidental est contesté de l’intérieur et doit faire face au regain des politiques identitaires et culturelles. A contrario, les pays émergents ont opté pour l’autoritarisme. En outre, ils souhaitent maintenant ne plus seulement suivre les règles mais les faire.

Pour autant, la Chine affirme néanmoins préférer une Europe politique unie avec laquelle il est possible de dialoguer, contrairement aux États-Unis avec lesquels les disputes commerciales vont s’aggravant.

La Marine chinoise, la 2e au monde par le tonnage, a pour mission d’exercer une puissance dominante sur les mers, expression de l’ambition politique de la Chine. Dans le même temps, notre Marine nationale affirme l’attachement français à la liberté de navigation et transite en moyenne une fois par an dans le détroit de Taïwan, zone revendiquée par Pékin. Cela conduit à certaines frictions, comme en témoigne l’incident – inédit – entre les marines de nos deux pays début avril.

Russie et Iran : forces de déstabilisation mais interlocuteurs nécessaires

Il ressort d’un entretien avec l’ambassadeur de Russie que le regain de tensions entre la Russie et les États-Unis prend des allures de guerre froide. En février 2019, Washington et Moscou ont suspendu leur participation au traité sur les Forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI), celui-là même qui avait mis un terme à la crise des Euromissiles à la fin des années 1980.

L’Union européenne, théâtre de cette confrontation, a tout intérêt à ce qu’un dialogue soit rétabli au plus vite, avant que le retrait du FNI ne soit définitif en août.

Que ce soit dans le règlement de la question syrienne ou ukrainienne, la Russie reste un interlocuteur majeur que l’Union ne peut se permettre d’ignorer. Ce d’autant plus à l’heure où l’allié américain se retire de nombreux accords internationaux, et quels que soient les contentieux persistants avec le Kremlin.

Une situation analogue existe avec l’Iran. Washington multiplie les pressions vis-à-vis de Téhéran depuis que les États-Unis se sont retirés en mai 2018 de l’accord sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action – JCPoA). Après avoir rétabli des sanctions économiques puis les avoir renforcées au fil des mois, l’administration Trump a multiplié les déclarations guerrières et a entamé le 5 mai le déploiement d’une force aéronavale dans le golfe persique.

La position officielle de la France rejoint celle de l’Union européenne : si l’Iran venait à sortir de cet accord, l’escalade serait inéluctable, relançant la course à l’armement stratégique. Face à ce risque réel, Européens, Russes et Chinois tentent de maintenir les avancées qu’apporte l’accord de 2015.

La Russie, qui soutient politiquement Téhéran, la Chine, premier importateur du pétrole iranien, ou l’Union européenne, qui dispose d’importants débouchés commerciaux dans le pays, subissent de plein fouet le régime d’extraterritorialité américain. Il nous faut là aussi renforcer notre solidarité et créer de réelles capacités de rétorsions.

Dans cet engrenage, l’Iran a annoncé le 8 mai qu’il suspendait deux de ses engagements, en cessant désormais de limiter ses réserves d’eau lourde et d’uranium enrichi, et a lancé un ultimatum à l’Union européenne pour adopter une ligne ouvertement divergente des Américains, ce qui s’avère contre-productif car cela ne laisse que peu de marge aux Européens.

L’enseignement principal à tirer de ces deux situations hautement sensibles est que l’Europe se doit de maintenir et d’amplifier ses efforts de solidarité entre États-membres afin de renforcer sa capacité d’influence et son poids diplomatique.

Le statu quo n’est pas une option

La résurgence des États Puissances, du protectionnisme et des nationalismes remet profondément en cause l’équilibre des forces au niveau mondial. Il existe donc une impérieuse nécessité de forger une souveraineté européenne, sous peine de demeurer les spectateurs du nouvel ordre mondial.

L’Union européenne se doit de montrer un front uni face à ceux qui battent en brèche le multilatéralisme. Avec les élections du 26 mai, la France a l’opportunité d’envoyer au Parlement européen des représentants à même de faire valoir son influence.

« Une Europe solide est la condition de la souveraineté de notre pays » (Édouard Philippe).

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