Retrouvez mon entretien accordé au Figaro Vox concernant la mission d’évaluation de la loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés que je mène actuellement à l’Assemblée nationale : Cliquez ICI pour consulter l’article.

FIGAROVOX. – Les rodéos urbains sont de plus en plus nombreux. Pourquoi ce phénomène augmente-t-il ? Y a-t-il un sentiment d’impunité ?

NATALIA POUZYREFF. – Il y a eu une recrudescence des rodéos urbains avec la publication des images et des vidéos sur les réseaux sociaux. Avec l’arrivée des GoPro, les rodéos sont devenus un phénomène très prisé chez certains jeunes. Cela concerne surtout des hommes, jeunes adultes (les mineurs comptent pour environ 30 %), qui vivent souvent dans des quartiers populaires ou des banlieues.

Les nuisances ont augmenté pour les riverains et leur exaspération est de plus en plus forte. Au début de notre mandat, en 2017, les députés de la majorité se sont emparés de cette question et un texte de loi a été voté à l’unanimité. Dorénavant, l’outil législatif est là (loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les rodéos motorisés) et, même si des choses peuvent être renforcées, il est assez complet. Il pénalise par exemple les instigateurs sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire ceux qui organisent des rendez-vous pour ces rodéos ; il existe des sanctions pénales (les peines vont de l’amende à plusieurs mois d’emprisonnement). Mais évidemment la loi n’enraye pas totalement le phénomène.

Nous sommes en mission d’évaluation de la loi avec mon collègue co-rapporteur Robin Reda (Député LR de l’Essonne), pour le compte de la Commission des lois, afin d’étudier l’impact de la loi au bout de trois ans et, à ce titre, nous avons voulu prendre les remontées du terrain. Nous nous sommes rendus à Lyon pour auditionner les communes de l’agglomération, nous avons entendu des représentants de l’AMF et de l’association Ville et Banlieue (association des maires Ville et Banlieue de France), nous avons échangé avec la cellule anti-rodéo du Havre ou encore avec le collectif citoyen de Marseille qui a récemment mené une action en justice contre l’État pour inaction face aux rodéos sauvages qui ont fait rage dans les quartiers nord de Marseille.

Le phénomène se stabilise tout de même. Il y a effectivement une priorité donnée à la lutte contre les rodéos, à la fois par le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.

Effectivement ces rodéos donnent le sentiment d’impunité, sentiment qu’il ne faut surtout pas laisser croître : la pratique est illégale et la loi doit être appliquée. Cela fait des dégâts, à la fois dans les relations sociales du fait des nuisances sonores, et plus gravement encore, cela tue. Jeudi soir, une femme est morte à Toulouse et le mois dernier, une femme venue assister au rodéo dans une zone commerciale proche d’Amiens est décédée. Nous voulons aussi proposer un suivi de l’accidentologie. Il faut qu’on ait les remontées sur les nombres d’accidents engendrés par les auteurs qui sont souvent, d’ailleurs, les premières victimes.

Quelques syndicats de police disent qu’ils ne peuvent pas intervenir. Pourquoi ?

Il faut ces remontées pour considérer la balance entre les bénéfices et les risques : la doctrine en France est de ne pas poursuivre, de ne pas pourchasser le délinquant sur sa moto. On se penche sur cette question et sur le bien-fondé de cette doctrine. Vient alors l’idée de la balance. Il y a un nombre d’accidents et de décès et il faut prendre tout cela en compte. On peut penser à des brigades dédiées et spécialement entraînées pour rattraper les délinquants. Pour l’instant, il n’y a pas d’intention de changer de doctrine de la part du Ministère, même si quelques syndicats de police le demandent.

Les forces de l’ordre ne sont pas autorisées à prendre en chasse pour ne pas risquer la vie de piétons, de la personne en fuite ou d’eux-mêmes. Personne ne souhaite que le jeune se tue pendant la poursuite ni que la vie des policiers soit exposée. Enfin le drame de Villiers-le-Bel en 2007 reste très présent dans les esprits : si un jeune tombe et se blesse ou se tue, il y a risque d’émeute. Néanmoins, notre mission pose réellement la question du rapport bénéfice risque dans certains cas. L’avis est très partagé.

Les forces de l’ordre sont davantage en faveur d’enquêtes qui seraient étayées au long cours et, pour cela, privilégient les renseignements que peuvent fournir les bailleurs sociaux par exemple et surtout les images enregistrées par les caméras de vidéoprotection ainsi que la connaissance du terrain et les informations issues des polices municipales. Il faut recouper les renseignements et construire des dossiers solides qui seront traités par le parquet. Les juges sont très exigeants en termes de preuves, notamment lorsque le conducteur n’est pas le propriétaire de l’engin. Il faut un maximum de preuves pour que le véhicule ne soit pas restitué, mais confisqué puis détruit. La confiscation est difficile car les motos sont mises en partage, et les propriétaires se dédouanent en disant qu’ils n’étaient pas au courant de l’utilisation faite, elle est donc rendue. On se heurte au droit de propriété.

Les caméras vidéo donnent des preuves que le véhicule était mis à la libre disposition et il faut pouvoir qualifier l’intention de nuire. Les juges doivent bien tenir compte des éléments et de la parole de l’Officier de police judiciaire. L’intentionnalité, si ce sont toujours les mêmes qui commettent toujours les mêmes délits et que l’OPJ (officier de police judiciaire) en fait part, elle est évidente, mais le dossier doit être solide pour convaincre les juges.

Une moto-cross non homologuée est destinée à la pratique sportive sur des terrains accidentés et est interdite sur la voie publique. Si elle est utilisée sur nos routes, ou dans nos quartiers, cela renvoie bien à l’intentionnalité de nuire. Pour les riverains, dans tous les cas, l’intention est évidente. Il faut que la justice suive là-dessus pour que cela fonctionne.

Concernant les sanctions, de toute évidence la plus dissuasive est la confiscation du véhicule pour qu’il soit détruit. Il y a encore du travail pour que les dossiers permettent une reconnaissance plus large de l’intentionnalité par la justice, car la confiscation est le réel moyen de freiner ces rodéos. C’est un phénomène qui se stabilise, comme je l’ai dit, car il y a des opérations d’envergure de plus en plus nombreuses. Les sanctions pénales ont été multipliées par 10 depuis 2018 : les condamnations liées aux délits décrits par la loi du 3 août 2018 sont passées de 92 en 2018 à 697 en 2019 puis 991 en 2020. De plus, en 2021, on compte déjà plus de 700 interpellations effectuées par les forces de l’ordre et plus de 1 000 saisies d’engins réalisées. L’action est donc efficace mais pas encore suffisante.

Vous avez été rapporteure de la proposition de loi du 3 août 2018 «renforçant la lutte contre les rodéos motorisés». Faut-il durcir quelques points ? Que proposez-vous pour endiguer ces rodéos ?

Il faut bien sûr travailler pour que toute la chaîne pénale s’approprie la loi et qu’elle l’applique efficacement. Ensuite, le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, que nous aurons à examiner à l’Assemblée nationale à la rentrée, porte sur des dispositifs de lutte contre les rodéos : il renforce l’obligation d’inscription au DICEM, c’est un registre qui prend les numéros de série des véhicules non homologués, qui ne sont pas immatriculés, comme les moto-cross. Ce registre est un système informatisé aujourd’hui plus robuste et qui va être ouvert aux polices municipales. Ce système va être plus généralisé. Dans le projet de loi qui arrive, concrètement, si un véhicule n’est pas enregistré, il sera détruit automatiquement. Et s’il est enregistré, le délai pour le récupérer en fourrière ne sera plus de 15 jours mais seulement de 7 jours. Il y aura plus d’obligations entre vendeurs et acheteurs qui devront tous deux déclarer la vente. Il y aura aussi des obligations pour les loueurs, car beaucoup de motos sont louées et sont donc embarquées à bord de camionnettes : le loueur devra relever la plaque d’immatriculation des camionnettes.

Cela va améliorer la traçabilité des engins non homologués, car les moto-cross sont les principales sources des rodéos, il y a moins de quads. Il faut voir aussi comment responsabiliser les vendeurs et les loueurs de motocross dès lors qu’il y a doute sur l’utilisation faite et ne pas évidemment pénaliser les adeptes d’une pratique sportive et de loisir.


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